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April 27, 2024

Kenneth Rexroth, l'anarchiste érotico-mystique

On oublie parfois ce que fut l’Amérique littéraire et révolutionnaire durant la première moitié du XXe siècle : un lieu d’effervescence idéaliste, un creuset de culture libertaire où s’inventait la modernité. À Chicago, dans les années 1920, on aurait ainsi pu croiser un drôle de gaillard érudit, à la voix râpeuse et traînante, aux lectures incongrues, qui avait connu Alexandre Berkman, Emma Goldman et Eugène Debs (soit la fine fleur de l’anarchisme et du syndicalisme), qui fréquentait les clubs de jazz aussi bien que le milieu interlope des gangsters et des prostituées, apprenait le yoga tantrique, fondait un groupe dadaïste et s’apprêtait à partir en cargo vers l’Europe. Une dizaine d’années plus tard, c’est à San Francisco qu’on le retrouve, animant un cercle anarchiste, écrivant de la poésie érotique, rédigeant des essais sur le communalisme utopique entre deux traductions de haïkus japonais, tout en organisant les lectures où s’imposeraient bientôt les voix de la génération beat. Il n’aima ni la guerre ni les dogmes et prétendit moins changer le monde que l’apprivoiser — curieux incurable, optimiste tragique, individualiste solidaire, cet oxymore vivant méritait bien un portrait.
Adeline Baldacchino

Gaston Da Costa : se défier des endormeurs

(5/8) « La Commune a 150 ans »
La Commune détient 74 otages. Elle propose au gouvernement de les lui restituer en échange du seul Auguste Blanqui, alors incarcéré. C’est que l’homme a déjà tout du « mythe » : bientôt trois décennies derrière les barreaux et une opposition inlassable aux pouvoirs en place. Adolphe Thiers refuse — libérer Blanqui, c’est risquer de décupler les forces de l’insurrection. Gaston Da Costa, 20 ans, compte parmi les disciples de ce stratège de l’avant-garde révolutionnaire. Condamné aux travaux forcés à perpétuité après l’écrasement de la Commune de Paris, Da Costa, substitut du procureur durant les événements, reviendra, 30 ans après, sur ces semaines de « drame » avec son livre La Commune vécue. Portrait de l’auteur et fresque d’un courant atypique du socialisme français, le blanquisme, désavoué, depuis, par la plupart des courants marxistes et libertaires.
Par Tristan Bonnier

Anna Jaclard, l'égalité enfin

(4/8) « La Commune a 150 ans »
Que les femmes, absentes du gouvernement communal, aient joué un grand rôle lors de la Commune de Paris ne fait pas question : elles défendent les canons contre la troupe ; prennent en charge les camarades blessés ; érigent des barricades et ouvrent le feu sur l’ennemi ; siègent dans les clubs et les commissions ; écrivent dans la presse et s’engagent en faveur de la laïcité. Que la bourgeoisie ait redoublé d’injures à leur endroit n’en fait pas non plus : « pétroleuses », « femelles », « mégères », « soiffardes » et autres « laideronnes furibondes »… Louise Michel a longtemps incarné l’icône, presque unique, de la Commune au féminin ; on ne saurait pourtant faire le compte de toutes celles qui prirent part à la Révolution. Anna Jaclard en est. La jeune femme, russe d’origine, a 26 ans quand surgit la Commune. Elle intègre alors le Comité de Vigilance de Montmartre, cofonde un journal, participe à une commission visant à « organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles » et, en sa qualité d’ambulancière, soigne les blessés. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, elle s’exilera en Suisse. Portrait.
Élie Marek

Marx au vif de la Commune

(3/8) « La Commune a 150 ans »
Tandis que la Troisième République s’apprête à entrer dans Paris pour exterminer une révolution très largement ouvrière, ce brave Émile Zola peste contre les communistes, le « parti rouge », l’Association internationale des travailleurs et le « grand pontife de l’Internationale » (entendre Karl Marx), lesquels importeraient en France leurs affreuses théories. L’intéressé a alors 52 ans. Il vit en exil en Angleterre depuis 1849 et a publié le premier volume du Capital quatre ans avant l’éclatement de la Commune. Si l’Internationale — alors composée, pour l’essentiel, de collectivistes libertaires, de marxistes et de mutuellistes — ne joue aucun rôle dans ce dernier, 14 des 85 membres élus du gouvernement communal y sont affiliés. De Londres, Marx s’informe, correspond, commente et prodigue même deux ou trois conseils à ses quelques contacts communards. Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité, en fait le récit.

La Commune et ses usages libertaires

(2/8) « La Commune a 150 ans »
À la question de savoir ce qu’est « la dictature du prolétariat » telle que théorisée par Marx, son fidèle compagnon Engels répond en 1891 : « Regardez la Commune de Paris. » Marx avait d’ailleurs tenu cette dernière pour « la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du Travail ». Près de trois décennies plus tard, on raconte que Lénine esquisse quelques pas de danse sur la neige au 73e jour de la Révolution russe — c’est-à-dire un de plus que la durée de la Commune, massacrée par la troupe versaillaise : environ 20 000 morts en l’espace d’une semaine. Que cette histoire relève ou non de la légende ne change rien à l’affaire : la Commune imprègne les traditions communiste et marxiste. Mais elle irrigue avec semblable force le courant libertaire. Édouard Jourdain, auteur de Théologie du capital, revient sur la structure même de cette expérience révolutionnaire avortée : la commune, sans majuscule. Un long sillon s’avance alors, des écrits anarchistes de Proudhon aux cantons autonomes du Rojava.

La Commune, ou « le règne de la justice »

(1/8) « La Commune a 150 ans »

  1. Il y a 150 ans, jour pour jour, que le peuple de Paris s’est soulevé. La Troisième République a été proclamée quelques mois plus tôt et l’armistice avec l’Allemagne signé fin janvier ; Adolphe Thiers, 73 ans, est alors chef du pouvoir exécutif : il tient à tout prix à saisir les canons que les Parisiens — épuisés par le siège prussien (la faim, la misère et un taux de mortalité multiplié par deux) — ont payés par souscription. La population s’interpose ; « Barricades partout ! », entend-on dans les rues ; le 18 mars 1871 au soir, la préfecture de police et l’Hôtel de ville sont aux mains des protestataires. Un drapeau rouge est hissé et résonne un cri : « Vive la Commune ! » Elle sera officiellement proclamée dans dix jours : entretemps, aux quatre coins du pays, le soulèvement démocratique fait tache d’huile. On connaît la fin. En manière d’hommage à la Commune et à celles et ceux qui se levèrent contre « un monde mal fait », nous consacrons une semaine de publications à « la grande fédération des douleurs » — ainsi que Vallès la nommera. Julien Chuzeville, historien du mouvement ouvrier, vient de publier un ouvrage sur Léo Frankel, aux éditions Libertalia : ouvrier, correcteur et journaliste hongrois, il est élu responsable de la Commission du travail de la Commune de Paris à l’âge de 27 ans. Blessé lors de la Semaine sanglante, il trouvera refuge en Suisse puis en Angleterre. Extrait : récit des premiers jours.